Chapitre 18 - Jeux, paires & Love

Chapitre 18

 

La gigantesque dune s’élevait telle une montagne de sable fin ceinturant sur plusieurs kilomètres tout le pourtour de la côte arcachonnaise. Sabrina, Frédéric et Manuel foulèrent joyeusement la sablonneuse falaise. Ils firent halte une fois en haut : à l’infini s’étalait la plage. Une odeur résineuse, entremêlée d’embrun, embaumait l’air caressant sur leur visage. Les mains attachées devant l’immensité, leurs yeux survolaient le sable pour fixer la mer entrelacée dans un zigzag doré. Un paysage presque lunaire se détachait jusqu’à l’horizon, traçant en jaune et bleu de magnifiques sillons. La mer et le ciel se confondaient dans le lointain en une telle splendeur que les mots étaient vains. Le cri perçant d’une mouette rompit la magie de leur contemplation.

Frédéric lâcha les mains de Sabrina et de Manuel pour dévaler la pente sableuse dans un hurlement extatique. Manuel et Sabrina se dévisagèrent longuement, le cœur erratique. Le soleil dardait déjà ses rayons chauds à cette heure pourtant matinale. Un éclat fit scintiller la boucle d’oreille argentée accrochée à l’oreille droite de Manuel.

Sabrina, fascinée, observa le trait de lumière jouer dans les boucles brunes. Le débardeur blanc sur le torse masculin dégageait la musculature des bras cuivrés. Elle avait une soudaine envie d’y faire courir ses doigts pour en suivre les reliefs et les redessiner. Elle battit des paupières comme pour échapper à ces pensées insensées.

Manuel resta subjugué par la courbure délicate de ses longs cils sombres. Son teint rosi par l’ascension de la dune se mariait joliment avec ses lèvres pleines. Il n’avait pas oublié leur goût fruité. Il le fallait pourtant. Il y avait Christian. S’arrachant avec difficulté à ce moment enchanté au sommet de la Dune de Pyla, Manuel se détourna légèrement.

Sabrina reprit contenance et se laissa glisser comme Frédéric vers la plage.

Manuel descendit plus lentement pour les rejoindre. Il avait récupéré les serviettes jetées en boule ainsi que le sac où étaient rangés les clés et un pique-nique. La plage était presque vide.

Passée l’exaltation de courir à pleine haleine dans le sable, Sabrina s’arrêta aux pieds des vagues. Frédéric, plus audacieux, avait plongé la tête la première dans l’eau et en ressortit tout souriant.

Manuel, quant à lui, avait installé les serviettes. Frédéric vint à sa rencontre. Sabrina se retourna pour leur jeter un coup d’œil, se demandant ce qu’ils pouvaient bien se dire.

— Attention, Sabrina, on va te mettre à l’eau ! lui cria Frédéric avec espièglerie.

Elle prit ses jambes à son cou pour échapper aux deux corps masculins en caleçon mi-long qui la pourchassaient. Ils réussirent à l’attraper et la traînèrent dans le sable.

Riant aux éclats, elle se retint de ses pieds, essayant de reculer le moment où Manuel et Frédéric allaient la balancer dans l’eau. Il faisait très chaud, presque pas de brise. Mais la température de l’eau en cette saison était plutôt froide.

Elle déglutit en reprenant précipitamment sa respiration lorsqu’elle se retrouva dans le paquet d’écumes blanches jusqu’à mi-taille. Sa mini-jupe de maillot de bain était relevée sur le haut de ses cuisses. Elle n’y resta pas longtemps et revint vers la plage où ses deux poursuivants la narguaient en riant.

« Leurs deux têtes bouclées sont si semblables qu’on pourrait les prendre pour un père et son fils », constata Sabrina.

Frédéric, effectivement, avait bien bronzé avec le travail à l’extérieur sur le bateau de Michel. Il avait peint une jolie décoration sur la poupe.

Ils firent une pause pour savourer des glaces achetées auprès du marchand ambulant. La plage commençait à être envahie par les estivants.

L’heure du déjeuner leur permit de déballer le pique-nique qu’ils dévorèrent en un clin d’œil. Quelques adolescents proposèrent à Frédéric une partie de ballon. Sabrina et Manuel restèrent en tête à tête. Assis côte à côte, ils observèrent la partie de foot en silence, un peu gênés de se retrouver ainsi. Un petit groupe d’hommes jouaient aussi juste à proximité. Sabrina remarqua tout de suite la chevelure blonde de l’un d’eux. Un sentiment inextricable lui serra la gorge. Le ballon vint atterrir à ses pieds. La démarche souple, l’homme blond lui sourit et vint reprendre la balle avant de regagner sa place au sein de son équipe. Sabrina resta quelques minutes interdite. Non ! Elle n’allait pas se laisser perturber par le souvenir de Christian. Tant d’autres hommes existaient ! À commencer par…

Manuel avait remarqué son trouble. Elle avait un drôle d’air. Il fut d’autant plus surpris lorsque Sabrina se pencha soudainement sur lui.

Outrepassant toute pudeur, dans un mouvement de défi, elle glissa ses doigts sous son débardeur en une caresse osée. Un geste dont elle réalisa à peine la portée.

Manuel bloqua sa main avec douceur tout en l’écartant.

— Je suis un homme, Sabrina, avec des désirs d’homme. Ne me tente pas ainsi où Rose bonbon ne sera pas la seule à partager ton lit.

— Et si c’était ce que je désirais ? Un homme dans mon lit ?

— Cela m’étonnerait. Tu parles sous la colère d’une femme déçue. Mais la déception s’en ira un jour, pas les remords d’avoir cédé à un instant de bravade. Surtout quand il s’agit d’un acte aussi important que celui de faire l’amour pour la première fois.

— Qui te dit que ce sera la première fois ?

— Rose bonbon.

Mortifiée d’être ainsi mise à nue, elle se détourna, se leva et courut se jeter dans les vagues.

Manuel la suivit des yeux avec regret. Au diable cet imbécile de Christian ! Sabrina était si femme et pourtant si innocente. Cela aurait été tellement merveilleux de la laisser faire… mais pas ainsi. Tout à coup, il réalisa qu’il n’avait jamais vraiment ressenti ce besoin d’aller plus loin dans ses relations avec les femmes. Avec Gisela, il s’était comporté comme un gentil frère aimant. Et les autres, de passage dans sa vie, n’avaient pas su dépasser le stade de l’amante du moment. Parce qu’il ne leur en avait pas donné la possibilité.

Frédéric, essoufflé, le rejoignit. Ses copains de plage s’étaient disséminés.

— Tu ne vas pas nager avec Sabrina ?

— Non ! Et si on bâtissait quelque chose avec tout ce sable ?

— Bonne idée. Tiens, Sabrina revient. À trois, c’est plus amusant.

Sabrina se laissa tomber à côté d’eux. Le bain froid lui avait rendu un peu de bon sens. Comment avait-elle pu se laisser aller à un comportement aussi contraire à sa nature ? Elle était reconnaissante à Manuel d’avoir su la ménager. Toute honte bue, elle osa un regard dans sa direction et il eut un tout petit sourire en coin pour lui signifier que l’incident était oublié. Ses mains plongèrent dans le sable et ils s’attelèrent tous trois à leur fortification.

Après une demi-heure passée à essayer de créer un château de sable vite dégringolé, ils repartirent à l’assaut de la montagne de sable qui séparait la plage de l’intérieur des terres.

— On rentre déjà ? s’exclama Frédéric avec regret. Il est encore tôt.

— Eh oui ! fit Manuel. Mario t’attend pour nettoyer la voiture. Et tu as également le dessin sur la palissade à terminer.

 

Peu après, ils larguèrent Frédéric chez Mario avant de regagner la maison de Luis.

L’adolescent tira la langue. Mario s’en aperçut.

— D’attaque pour la palissade ?

— Il me manque du jaune.

— Ah, tu aurais dû me prévenir plus tôt. Manuel et Sabrina auraient pu t’en acheter si tu avais pensé à leur demander.

— Je sais. J’ai oublié. On a passé une journée formidable. C’est un peu étrange tout de même. Manuel et Sabrina ont l’air de bien s’entendre, mais par moments, ils sont presque gênés. Pourquoi se comportent-ils ainsi ?

— La peur.

— De quoi ? Est-ce ma présence qui suscite cette peur ?

— Non, pas du tout. La peur peut prendre plusieurs visages. Elle peut être légère, diffuse, mais aussi sourde, lancinante. Parfois, on la refoule pour ne pas remettre en question son mode de vie, enfouir des pensées dérangeantes, retarder un choix compliqué. Comme toi par exemple. Qu’est-ce qui motive ta peur de continuer le dessin sur la palissade ?

— Ah cela ! Ce n’est pas vraiment de la peur, juste de la fainéantise, avoua Frédéric.

— L’atmosphère récréative d’Arcachon entraîne et incite beaucoup à la flânerie, mais à un moment où à un autre, il faut canaliser son attention sur la discipline. C’est pour cela que tu es ici. Pour apprendre à t’y exercer. Tu dois pouvoir résister à un comportement facile et totalement oisif susceptible de t’amener vers une voie destructive.

— Et ce sera long ? fit Frédéric avec une grimace.

— Cela dépendra de toi, de ta motivation, de tes envies profondes d’avancer vers le but que tu t’es fixé et surtout des engagements pris devant le juge.

— C’est vrai, réalisa l’adolescent. J’avais presque oublié mes engagements avec toutes les sorties amusantes ici. J’ai l’impression d’être en vacances. Mais je ne le suis pas. Demain, je continuerai le dessin. Et pour Manuel et Sabrina, de quoi ont-ils peur ?

— Cela bonhomme, eux seuls le savent. Tant qu’ils n’arriveront pas à l’identifier et à l’apprivoiser, la peur restera là à les dominer… Ce n’est pas tout cela, reprit Mario d’un ton énergique. Il te reste la voiture à toiletter. Au travail. Je vais brancher le tuyau et ramener le seau.

 

À la maison de Luis, Sabrina s’installa sur le balcon et défit ses cheveux. Elle prit son peigne pour enlever les grains jaunes abondamment incrustés. Manuel alla prendre une douche. Elle irait se doucher après lui. Lorsque ce dernier revint, il constata qu’elle était toujours au même point.

Il saisit le peigne qu’elle tenait dans ses mains et entreprit de lisser ses cheveux pour évacuer les grains de sable. Elle se laissa faire. Sa chevelure s’étalait comme un voile de chaque côté de ses épaules à mesure qu’il égrenait les brins fins sombres. Elle se retourna pour lui présenter un autre côté et leurs yeux se rencontrèrent. Manuel lâcha machinalement le peigne, captivé par les lèvres entrouvertes. Instinctivement, leurs bouches se rapprochèrent lentement, mais la sonnerie du portable de Manuel stoppa leur progression.

Manuel s’écarta pour répondre.

— Carina ? Oui… Laisse-moi le temps de prendre un vol… j’arrive.

Sabrina s’était éloignée de la maison pendant que Manuel téléphonait.

Il allait partir…

Elle descendit près du rivage. Le soleil commençait à tomber à l’horizon. Elle s’assit sur un bout de rocher. Le disque jaune était à moitié englouti derrière la ligne rougie lorsqu’elle sentit Manuel à ses côtés. Elle n’avait pas besoin de tourner la tête, leur main s’attachèrent spontanément devant le spectacle grandiose du jour qui s’évanouissait en projetant ses derniers rayons lumineux.

Puis, elle ressentit un vide sur ses doigts. Mais elle ne bougea pas. Elle resta encore quelques minutes assise à observer l’océan. Elle aussi devait partir le lendemain.

Lorsqu’elle regagna la maison, il n’était plus là. Il avait certainement pu avoir un vol à Bordeaux cette nuit. Elle trouva un petit mot sur la table de la cuisine.

 

Je dois retourner en Italie en urgence.

Merci d’avoir partagé ces quelques jours avec Frédéric et moi.

Manuel.

 

Quinze jours plus tard, Sabrina sortait de l’hôpital où elle avait enfin remis Rose bonbon à l’accueil. Justement, une petite fille l’avait réclamée. Quelques minutes après, une enseigne bleu fluo au-dessus d’un bâtiment attira son regard. Vis ta forme ne serait plus qu’un souvenir maintenant. Elle avait donné sa démission. Il lui restait quelques jours de congé supplémentaires et son contrat prévoyait un court préavis. Après déjeuner, elle retournerait mettre en ordre quelques dossiers et dire au revoir à ses collègues. Manuel n’était pas revenu d’Italie. Sans doute apprendrait-il son départ plus tard, sauf si Brice l’avertissait tout de suite.

La décision de quitter son travail s’était imposée d’elle-même dès son retour d’Arcachon. Elle avait déjà retrouvé un autre emploi. Un poste qui correspondait plus à ses envies. Marie-Jo avait finalement décidé de prendre sa retraite et la jeune fille avait postulé pour la remplacer au Centre. Le dossier était en cours, mais elle avait la place. Elle serait à cheval sur l’administratif et l’éducatif. Sa classe pour les petits serait maintenue.

Un changement entraînant un autre, elle avait également déménagé. Maintenant, elle occupait le logement de fonction jusqu’alors habité par Marie-Jo. Cette dernière était allée vivre chez sa sœur. Le déménagement lui avait pris une journée. Anabella l’avait beaucoup aidée ainsi que son ancienne voisine, Malika, qu’elle avait revue entre-temps.

Après sa pause déjeuner, elle revint à son bureau où elle commença à trier les quelques documents à traiter.

Christian frappa à sa porte, l’interrompant dans son rangement.

— Bonjour, Sabrina. Il faut qu’on parle.

— On s’est déjà tout dit, lâcha Sabrina sans lui rendre son bonjour.

— Non, pas tout. Je t’aime, Sabrina, je t’aime vraiment. Le fait de te perdre m’a fait réaliser combien tu es importante pour moi. Toutes les autres n’existent plus.

Sabrina le regarda, abasourdie. Il croyait que ce revirement allait la faire revenir à lui ? Ses yeux semblaient sincères. Son visage à la plastique parfaite aurait pu la faire craquer avant. Maintenant, elle le voyait tel qu’il était : un visage magnifique, mais sans chaleur véritable. Un attrape-filles.

— Mais moi, je ne t’aime pas, Christian. Je croyais t’aimer, mais en fait, j’étais amoureuse de l’amour, pas de toi. Nous deux, c’était juste un feu de paille. Maintenant, si tu veux bien me laisser, j’ai encore du travail.

Elle se détourna de lui pour ouvrir le tiroir en face d’elle et entendit sa porte qui se refermait.

 

Christian ne regagna pas son bureau, mais fit une pause pour se rendre à un Café pas loin où il avait ses habitudes. Pour la première fois, il resta insensible à la serveuse qui lui faisait ouvertement du gringue. Il sentit comme une douleur à son cœur. Sabrina ne l’aimait pas et lui, il était tombé véritablement amoureux d’elle.

En revenant à Vis ta forme, il croisa Janice, toute concentrée sur ses pas, qui ne lui jeta pas un seul regard. Il la suivit machinalement des yeux et la vit entrer discrètement dans le bureau d’Ibrahim. Elle non plus, il ne l’avait pas reconnue. Les cheveux lâches, la robe ravissante… Et lui qui croyait qu’elle avait changé sa façon de s’habiller pour lui. Ibrahim et Janice… Ces deux-là étaient plus que des collègues depuis bien longtemps. Il revit les traits contractés d’Ibrahim à la soirée de l’entreprise et le rire, maintenant un peu forcé de Janice à ses côtés. Christian récupéra ses affaires et sortit à nouveau. Il se retourna un instant vers le bâtiment.

« Il est temps pour moi de mettre un peu d’ordre dans ma vie. Je vais partir à Amsterdam. Le courage de ma cousine Lina, face à la maladie, m’aidera peut-être à tourner la page. »

 

Sabrina renversa sa poubelle pleine à ras bord dans le vide-ordures. Elle avait terminé sa mise à jour. En revenant à son bureau pour prendre son sac, elle tomba sur Janice. Elle s’apprêta à faire demi-tour lorsque cette dernière l’interpella.

— Non, attends Sabrina !

La jeune fille ralentit le pas et se retourna à moitié.

Janice s’approcha en se triturant les mains.

— Je n’ai pas été une collègue assez sympa. J’ai même été crasse avec toi. Je tenais aujourd’hui à m’excuser pour mon comportement. Si ta lettre de démission est motivée par ma seule présence, je t’en conjure, déchire-la. Tu es vraiment une fille compétente et l’entreprise a besoin de tes talents. Et on pourra recommencer nos relations sur de nouvelles bases. Bien sûr, ce ne sera pas la grande entente du jour au lendemain, mais je n’ai plus de raison de t’en vouloir à présent.

Sabrina, surprise, eut un demi-sourire.

« Décidément, songea-t-elle, c’est la journée des réconciliations. »

— Ma décision n’a rien à voir avec toi Janice, je te rassure. Merci de m’avoir parlé.

— Bonne chance dans tes nouveaux projets.

Sabrina quitta à son tour Vis ta forme. Comme Christian, elle se retourna pour admirer la façade où un éclat solaire mettait en valeur la lettre V du nom. Les yeux à demi fermés, la vérité se fit jour à son esprit. Ou plutôt, elle le reconnaissait pleinement aujourd’hui. Son départ était un peu une fuite. Elle voulait mettre un peu de distance entre elle et Manuel. Elle avait fini par admettre l’attirance presque effrayante de son corps lorsque Manuel était dans les parages. Et elle avait peur de ne pouvoir y résister un jour. Pas sans sentiments. Il ne l’aimait pas et elle non plus. L’expérience avec Christian était encore trop vivace et puis Manuel était engagé avec une autre.

Mais arriverait-elle à gérer leurs rencontres probables à l’Association ?

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