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Chapitre 2 - Jeux, paires & Love

Chapitre 2

 

— En avant pour l’aventure ! s’exclama Sabrina d’une voix haut-perchée.

Mais son équipée tourna court. Elle se retrouva brutalement au pied du canapé et se réveilla aussitôt. Elle fixa stupidement la télé. La blonde sculpturale des Services du Loto avait laissé place à un vieux marin. Ce dernier montrait le fruit de sa pêche : des alevins qui sautillaient dans un petit filet.

Elle se frotta les yeux et la mémoire lui revint.

Son billet était bien gagnant, mais elle était loin d’être la seule. Le gros lot était passé à travers les mailles du filet, comme certains de ces petits poissons fuyant par des interstices plus larges, avides de regagner la rivière.

Elle se mit péniblement debout et pressa le bouton du téléviseur, faisant taire les commentaires ennuyeux de cette émission sur la pêche.

Elle regagna les draps tièdes emmaillotant le canapé-lit. Sur le tabouret carré transformé en table de chevet, elle prit d’une main tremblotante le billet gagnant dont le tirage avait eu lieu vendredi dernier, jour pour jour. Plus exactement, elle avait réalisé une photocopie de l’original, pour en garder un souvenir. La somme rondelette l’avait malgré tout enchantée. La grisaille de son quotidien et sa constante préoccupation quant à la santé de sa mère s’étaient quelque peu estompées grâce à cet argent équivalant à une année de SMIC. Et puis, cette lueur d’espoir dans sa misérable vie n’arrivait pas seule, car son nouvel ami Luis lui avait trouvé un travail. Ils avaient rendez-vous lundi pour la présenter à son futur employeur.

Elle déposa la copie du billet.

— Je dois être à mon avantage pour faire bonne impression, sourit-elle avec un brin d’optimisme.

Elle martela son oreiller de petites tapes. Sa tête vint s’insérer dans la cavité ainsi creusée et elle s’endormit tout de suite.

 

Le lendemain, elle rendit visite à sa mère. Elle passa une heure à lui tenir la main en parlant de choses et d’autres. Sa voix, chargée des instants tendres et joyeux vécus ensemble, emplissait la pièce.

— Non, l’espoir n’est pas mort. Il vit en moi encore. Les évènements ont beau essayer d’étouffer cette impulsion qui me fait espérer, malgré ces pensées dans ma tête qui entraînent mes larmes, je n’ai pas rendu toutes les armes. Laisse-moi encore des jours, maman, pour te souhaiter le bonjour. Je voudrais te dire mes mots cachés, mes petits secrets, mes doux souvenirs. Je voudrais dans un murmure te conter mes espérances, mes projets et te faire découvrir les pages de mon avenir… J’aimerais pouvoir te raconter tous les petits moments. Donne-moi juste un peu de temps.

Lorsqu’elle laissa la chambre, les pensées encore tournées vers la dormeuse, elle buta sur un bout de chiffon. Elle récupéra l’objet. Un sourire effleura ses lèvres. Une poupée. Elle alla à l’accueil mais vit qu’il était momentanément désert.

— Je te garde avec moi pour l’instant, murmura-t-elle à sa compagne inanimée en quittant l’hôpital.

La poupée inerte lui rappela l’état de sa mère.

Un crissement de pneu résonna de façon lointaine à ses oreilles. La poupée glissa au sol. Sabrina resta immobilisée, debout à quelques centimètres du pare-chocs de la voiture. Une porte claqua furieusement.

Un homme surgit auprès d’elle. Un soulagement évident marqua son visage lorsqu’il constata que la jeune fille était intacte. Il se pencha et ramassa l’objet près de l’avant de sa voiture.

— Vous n’êtes pas un peu grande pour jouer à la poupée ?

Sabrina émergea de sa prostration pour le fixer.

— Pas aussi vieux que vous l’êtes pour conduire votre bolide comme un jouet ! répliqua-t-elle sur le même ton moqueur. Vous êtes à proximité d’un hôpital !

— J’ai respecté la vitesse en vigueur. Vous vous êtes précipitée sous mes roues… Vous allez bien ? se radoucit-il en remarquant son visage blême.

— Aussi bien que possible ! Rendez-moi Rose bonbon, s’il vous plaît.

— Rose bonbon ?

— La poupée.

Il observa l’objet entre ses mains et sourit.

Les deux joues rose fuchsia de la poupée en chiffon évoquaient effectivement la couleur de quelque friandise à la framboise.

Son regard se reporta sur le visage de la jeune fille. Une acné tardive s’étalait sur les pourtours de son front et descendait un peu sur ses sourcils et ses paupières frangées de longs cils délicats.

« Un visage un peu ingrat et en même temps intéressant à contempler », songea-t-il.

« Pourquoi me dévisage-t-il ainsi ? Seigneur ! J’ai failli me faire renverser parce que j’étais dans la lune à cause de maman. Se pourrait-il qu’il croie que je… ? Et puis, je n’aime pas cette lueur dans ses yeux. Elle me met mal à l’aise. Qu’espère-t-il trouver sur mon visage ? Une preuve expliquant mon geste ? »

Un léger klaxon rompit leurs méditations.

— Mon véhicule gêne. Prenez bien soin de vous et de Rose bonbon, dit-il en lui tendant la poupée avant de regagner rapidement sa place au volant.

Sabrina reprit son chemin après un dernier regard au véhicule qui disparaissait au coin de la rue. Elle pressa le pas pour échapper aux yeux marron scrutateurs encore présents à sa mémoire. Le visage bronzé de l’inconnu aux lèvres sensuelles semblait la poursuivre. Elle avait également remarqué la boucle d’oreille à son oreille droite laissée découverte par ses cheveux noirs bouclés. Le bijou faisait ressortir un côté à la fois provocateur et terriblement séduisant de son sourire.

Elle coinça Rose bonbon sous son bras et s’efforça d’oublier cette rencontre fort troublante. Sa situation familiale l’assaillit aussitôt. L’idée de se retrouver seule dans son petit appartement l’assombrit davantage.

 

Lundi matin, elle avala deux biscottes beurrées, un verre de jus d’orange, une pomme, le tout arrosé d’un bon café. Ce repas matinal, revenu à la normalité après une diète contrainte, fut suivi par une inspection de sa garde-robe.

— Un placard à nippes serait le terme approprié, dit-elle tout haut en évaluant le maigre paquet de vêtements rangés sur des rayonnages encastrés dans un mur du studio.

« Pas le choix ! Pantalon et chemisier ! Le reste n’est pas portable pour un premier jour d’embauche. »

Le pantalon marron clair, en toile légère, la boudinait mais le chemisier uni de couleur crème, un peu long, cachait ses bourrelets. Elle avait résolu le problème de sa coiffure en ramassant ses cheveux en une longue tresse noire vers l’arrière. Pas de maquillage.

« Mes boutons s’irriteront encore plus, et puis ce n’est pas recommandé. »

Une angoisse sourde commençait à la gagner à mesure que l’heure du rendez-vous approchait. Certes, elle était pistonnée pour ce travail, mais selon Luis, ce poste était vacant depuis bientôt trois mois. Plusieurs personnes avaient occupé provisoirement la fonction mais n’y étaient pas restées, soit par manque de compétence, soit pour incompatibilité d’humeur.

— Et moi ? Aurais-je plus de réussite ? murmura-t-elle au reflet de son visage dans la glace au-dessus du lavabo.

Quel pouvait donc être le caractère de ce patron pour renvoyer autant de personnel à tour de bras ? Était-il vraiment intransigeant ou bien était-ce la conduite irresponsable de ses anciennes employées qui était en cause ?

De toute façon, casse ou brise, elle devait s’agripper à cet heureux coup du sort.

 

Une heure plus tard, Luis se gara dans un parking. Sabrina et lui continuèrent à pied. L’immeuble abritant les bureaux d’un vaste club de remise en forme se situait au 999 de la rue dans laquelle ils s’étaient engagés. Ils étaient à République, à trois stations de métro de la Gare du Nord, à courte distance de l’hôpital Lariboisière.

Elle connaissait un peu cet endroit. Les bâtiments en pierre ancienne donnaient un charme fou à cette place. Beaucoup de magasins ou de bars chics longeaient les ruelles et s’animaient joyeusement lors de la période estivale. Dans la rue parallèle se trouvait le Conservatoire National des Arts et Métiers plus connu sous le sigle CNAM. Elle s’était renseignée pour prendre des cours du soir de manière à être libre pour aider sa mère dans la journée. Même si le prix des unités d’enseignements n’était pas si exorbitant, l’inscription nécessitait quand même une petite somme. L’exonération des droits d’inscription n’était possible que pour les demandeurs d’emploi. Avec son statut d’étudiante et n’ayant jamais occupé un emploi auparavant, elle ne pouvait prétendre à la moindre réduction.

En tout cas, elle était heureuse de pouvoir travailler dans ce quartier. Et qui sait, elle pourrait enfin s’inscrire au CNAM.

En chemin, elle avait interrogé son compagnon sur le poste proposé.

— Je pense que tu as toutes les compétences requises. Leur base de données a besoin d’être mise à jour et leur service de facturation a pris du retard. Un gros boulot d’archivage, également, est en attente, d’après ce que m’a confié le gérant, Manuel Torente. Il est un ami de longue date de mon père. Avec ton niveau d’étude supérieure en gestion, tu es largement qualifiée pour cet emploi. Et ton envie de bien faire compensera ton manque d’expérience, j’en suis certain. À long terme, si tu te débrouilles, qui sait, tu pourrais prendre en charge une partie plus importante de leur comptabilité.

— On n’en est pas encore là. Il faudrait d’abord que je passe le cap de la période d’essai.

— Accroche-toi, fillette ! Ta carrière va prendre une ascension vertigineuse !

Elle éclata de rire et cela lui fit du bien. Le nœud qui lui oppressait la poitrine s’était envolé.

Un sourire naturel aux lèvres, elle suivit Luis dans l’imposant bâtiment où l’enseigne bleu vif incitait à l’activité : Vis ta forme. Ils débouchèrent tout de suite sur un petit hall de réception dépourvu d’accueil. Sabrina vit le médecin s’exclamer avant de faire une embrassade à un homme dont elle aperçut seulement les cuisses musclées moulées dans un pantalon noir.

— Manuel, voici Sabrina Millot, la jeune fille dont je t’ai parlé, dit Luis en s’écartant pour présenter sa protégée. Sabrina, je te présente Manuel Torente, gérant et propriétaire de Vis ta forme, la chaîne de remise en forme dont il est le fondateur.

Le sourire de Sabrina se figea lorsqu’elle découvrit le visage de son futur patron. Elle bredouilla un vague bonjour à peine perceptible. Manuel Torente, quant à lui, paraissait légèrement amusé.

— Comment va Rose bonbon ? demanda-t-il sous le regard stupéfait de Luis.

— Très bien, marmonna Sabrina, un peu dépassée par les évènements.

— Je vois qu’une histoire de bonbon vous lie déjà, remarqua Luis rassuré. Puisque vous avez l’air de vous connaître, je vous laisse. Je prends mon service bientôt.

Après le départ de Luis, la timidité de Sabrina la submergea.

— On va commencer par un petit tour de l’établissement et je vous montrerai ensuite votre bureau, décida Manuel d’un air sérieux après quelques minutes de flottement.

Sabrina se borna à acquiescer d’un signe de la tête. Elle s’appliqua à afficher une figure indifférente tout le long de la visite, s’efforçant d’oublier la troublante masculinité de Manuel. Elle avait pris cette habitude de considérer ce qui l’intimidait comme s’il s’agissait d’un grain de sable à retirer dans l’œil. C’était idiot, mais cela fonctionnait. Elle s’interposait l’image d’un œil irrité où elle extirpait le corps étranger et sa timidité s’évanouissait aussitôt.

Ils parcoururent rapidement les différentes salles de musculation, training…, où étaient installés de nombreux appareils d’entraînement ou de torture selon le point de vue de la jeune fille. L’administratif se situait au quatrième. Elle rencontra les autres membres du personnel, du moins une partie. Certains étaient manquants, notamment les entraîneurs ou tuteurs de salle pour reprendre le terme de l’entreprise. L’emploi du temps de ces derniers variait en fonction des diverses séances.

« Je vais évoluer dans un monde masculin ou presque. »

La comptable, Janice, était en congé. Sabrina fit ainsi la connaissance de Jérôme, le commercial et de Brice et d’Ibrahim, deux tuteurs de salle.

Manuel Torente l’entraîna ensuite vers ce qui devait être son bureau.

Elle poussa une exclamation horrifiée à la vue de l’amoncellement de dossiers, de feuilles volantes et autres bric-à-brac. Sabrina n’avait pas trouvé d’autres mots pour qualifier les innombrables objets de toutes sortes qui traînaient, y compris des emballages vides.

— Je pense qu’un planning de savoir-vivre et de règles appropriées sera nécessaire lorsque je viendrai à bout de ce tas de laisser-aller, dit-elle d’un ton ferme.

Il lui indiqua son propre bureau non loin et la laissa devant l’ouvrage.

Adepte du Sudoku, le rangement lui paraissait comme de petits chiffres à installer dans la bonne case. Sa matinée s’écoula donc à ce jeu de patience auquel elle excellait. À midi pile, son estomac lui indiqua l’heure, elle s’interrompit. Le bureau était entièrement vidé, ne gardant en son centre que l’ordinateur et un petit nécessaire d’écriture. Elle avait aligné tous les dossiers contre le mur en face. Elle les avait classés provisoirement de façon mensuelle et alphabétique. Toutes les pièces esseulées avaient été réunies dans des bannettes séparées en fonction de leur catégorie.

Elle s’adressa à l’ordinateur d’un air de défi :

— En attendant de savoir ce que tu as dans le ventre, je vais caler le mien.

Après un petit coup donné à la porte du bureau de son nouveau patron, elle y pencha légèrement la tête pour lui signaler son départ.

Ce dernier acquiesça et elle referma aussitôt, déjà concentrée sur le contenu de son assiette. Elle avait entr'aperçu une petite brasserie au bout de la rue ce matin.

 

Manuel Torente s’appuya de tout son corps sur le dossier de son fauteuil. Son esprit était entièrement occupé par la jeune fille de vingt-deux ans, nouvellement recrutée. Il avait fait un détour, avec sa voiture, la dernière fois après qu’il avait failli la percuter mais il ne l’avait pas retrouvée. Il souhaitait avoir ses coordonnées au cas où… Elle était si pâle. Maintenant qu’il connaissait son identité, il comprenait les raisons de cette pâleur et sa présence à proximité de cet hôpital. Il ne s’attendait pas à ce que la jeune fille dont Luis lui avait parlé et son inconnue affublée d’une poupée assez rigolote ne fassent qu’une seule et même personne. Malgré son inexpérience, elle correspondait bien pour ce poste : elle était totalement insensible à son charme. Non pas qu’il voulait se jeter des fleurs, mais les deux dernières, qui l’avaient précédée, perdaient toute retenue en sa présence. Elles gardaient la bouche ouverte comme s’il était un gros gâteau à la crème. Sabrina réagissait à l’opposé. Elle semblait même avoir peur de lui, parfois. Elle était motivée également pour la tâche. Son expression déterminée face au capharnaüm l’avait impressionné, malgré lui. De plus, son physique le changeait agréablement des formes androgynes qu’il avait l’habitude de coudoyer.

Il pensait à sa bouche, menue, mais charnue, pulpeuse, mais pas trop. Les lèvres inférieure et supérieure étaient de proportion égale.

« Aucun défaut. »

Et sa chevelure… Les filles d’aujourd’hui se croyaient obligées d’imiter la coupe masculine. Et leur acharnement à ressembler à certains mannequins squelettiques pour la plupart le désespérait.

La longue tresse de Sabrina, oscillant dans son dos, lui évoquait une danse chaloupée. Il l’imagina les cheveux dénoués jusqu’aux bas des reins.

« Stop ! »

Il bascula sa chaise. Sabrina venait de lui inspirer un concept novateur pour renouveler sa clientèle.

— Gardez vos rondeurs tout en restant sportif ! s’écria-t-il tout excité.

Il prit un papier et traça toutes les grandes lignes de ce nouveau produit. Il en oublia même de déjeuner. Lorsqu’il relâcha son crayon, il était presque 15 heures. Il prit sa veste et se dirigea vers le bureau de sa nouvelle secrétaire. Il frappa, puis entra dans la pièce.

Il s’arrêta brusquement.

« Dieu ! » s’exclama-t-il intérieurement.

Sabrina était à quatre pattes sous le bureau et ne l’avait pas entendu. Ses fesses sculptées par son pantalon trop serré se révélaient dans toutes ses courbures en une posture diablement érotique !

« On va laisser le démon tentateur là où il est. »

Il réprima instantanément la bouffée d’adrénaline qui avait surgi entre ses jambes.

Il n’avait jamais eu de réaction aussi violente en pleine journée. Qui plus est pour une gamine des plus banales, rencontrée il y a peu !

« Oui, mais elle a une bouche à croquer, et… Non ! Demi-tour ! Je crois que j’ai négligé un peu trop mes relations féminines. Il serait bon que je compulse à nouveau mon calepin téléphonique. »

Afin de lui notifier sa présence, il farfouilla dans le pot à crayons que la jeune fille avait méticuleusement trié. Elle réagit aussitôt et se cogna la tête en voulant se relever trop rapidement.

— Oui ? demanda-t-elle en se massant le cuir chevelu.

Elle avait réussi à dégager la facture coincée sans la déchirer.

— Je m’absente un moment. Si vous avez besoin d’aide, voyez avec Jérôme… ou Brice.

Il constata que le bureau avait retrouvé sa fonction première.

— Très bien ! répondit Sabrina. À plus tard, alors !

Elle s’assit sans plus se préoccuper de lui et attrapa sa souris pour consulter l’enregistrement de cette facture rebelle qui s’était glissée par inadvertance sous le pied du bureau.

Lorsqu’il quitta l’immeuble, il songea qu’il avait enfin trouvé la perle rare.

 

 

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